(eh oui, je me suis mise au dessin… Quel oeuvre d’art époustouflante n’est-il pas…)
Avec l’un de mes élèves de français, qui est également journaliste au quotidien NIKKEI, nous avons eu un débat à propos de la discrimination. C’est au cours de cette conversation qu’un mot, ô combien honteux, est sorti de ma petite bouche de fourmi… Un mot qu’il ne faut apparemment JAMAIS prononcer en public.
(….)
– …. D’après ce que vous dites, les coréens ont maintenant plus ou moins réussi à s’intégrer dans la société japonaise. Et qu’en est-il des gens qu’on appelle les… Bura… Burakumin* ?
– Ah ! Euh…. Eh bien normalement… On ne prononce pas ce mot en public… C’est… « un peu » malpoli, voyez… mm…
– Oh vraiment !!? Je ne savais pas, excusez-moi… !
– Bon eh bien, pourquoi connaissez-vous ce… « genre de personnes » ?
– Je l’ai lu dans un livre… Parait-il que ce sont des gens qui, autrefois, exerçaient un métier en relation avec la viande et les peaux… Comme boucher, ou tanneur. C’était considéré comme sale et honteux. Et ils étaient exclus de la société. Est-ce que c’est bien ça ?
– Oui, c’est ça. Il y avait aussi le métier de fossoyeur…
– Est-ce que… « ces personnes » existent encore aujourd’hui ? Est-ce qu’elles sont toujours exclues de la société et victimes de discrimination ?
– Oui, toujours, je pense… En fait, elles vivent dans certains quartiers de Tokyo, mais aussi d’autres villes comme Osaka… Ces quartiers sont assez faciles à reconnaître. Ils sont généralement pauvres, un peu vieux et sales… Et puis, il y a une clôture les séparant du reste de la ville.
– Ah, ils préfèrent rester entre eux… Mais pourquoi ? Est-il possible de les reconnaître, si on les voit dans la rue par exemple ? Ou alors… Ont-ils des noms de famille un peu typiques ?
– mm… Physiquement, non je ne pense pas. Mais les noms de famille, ça dépend des villes. « Ceux » de Tokyo par exemple ont peut-être des noms qu’il est possible de reconnaître. A cause de ça, ils peuvent avoir du mal à se marier. En effet, si les parents de leur fiancé(e) découvrent qu’il s’agit d’un descendant de « cette catégorie de population », ils font souvent en sorte de mettre un terme à la relation… Ensuite, en ce moment, « Ces personnes » réclament de l’argent au gouvernement en guise de compensation pour les discriminations qu’ils ont endurées, et la pauvreté engendrée. C’est donc peut-être par solidarité qu’ils continuent à vivre sur les mêmes territoires. Je ne sais pas trop…
– Je vois… Au fait, est-ce qu’ « ils » exercent toujours le même genre de métiers qu’autrefois ?
– Ca, c’est une bonne question… Je n’en suis pas sûr. Peut-être…
– mm. En tout cas merci, c’était intéressant. Et excusez-moi encore…
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*Burakumin : 部落民 = « les gens du hameau » ou « exclus de la société ».
部 : « bu » : une partie / 落 : « raku » : tomber/échec/chute/marginal /民 : « min » : personne
Pour en savoir plus sur le sujet : http://lacurieusehistoiredumonde.centerblog.net/5717149-Burakumin
http://www.reseau-asie.com/CV_jean_francois_sabouret/1983AutreJapon.htm
En anglais, mais très bien détaillé : http://www.tofugu.com/2011/11/18/the-burakumin-japans-invisible-race/
ça fait très « celui dont on ne doit pas prononcer le nom » comme dans Harry Potter….comme quoi les tabous dans les sociétés sont vraiment très différents d’un continent à l’autre…..
Christophe, la référence à Harry Potter était voulue 🙂 c’est exactement ce sentiment que j’ai eu, quand le journaliste s’est mis à éviter à tout prix de prononcer « le fameux nom ». En tout cas c’est clair, c’est vraiment tabou ici.
Un point culture intéressant, il me semble que dans la saga « le clan des Otoris » il l’évoque.
En tout cas c’est un mot que j’éviterai de prononcer quand je partirai au Japon 🙂
« Le clan des Otoris » ? c’est quoi cette Saga ? C’est bien ?
j’adore
Je l’ai lu quand j’étais adolescente, c’est une anglaise qui l’a écrit.
Ca se passe à l’époque ou les premiers « gaijins » arrivaient au Japon.
Difficile à résumer les 5 bouquins mais il y’a de l’action, de l’amour et plein d’autres choses…
C’est bien mais pas autant que Harry Potter 🙂
Merci pour l’info !
Ca m’étonne toujours autant de voir un pays aussi « high-tech » garder vivantes des traditions féodales. Ca fait partie de ses charmes et de ses travers. Merci pour l’article et pour les liens!
Wouah, je parlais de toi avec Pélagie pas plus tard que tout à l’heure, et là bam ! Trois posts ! Et pas piqués des hannetons, en plus.
La peur, je l’avais ressentie aussi, en août 2011. Enfin, au moins une certaine inquiétude, pas aussi clairement exprimée. Ça bouge pas mal, décidément, dans la société nipponne.
Je te tire mon chapeau pour avoir eu le culot de poser la question sur les burakumin ! Je n’ai jamais osé, même ici à Paris.
Bisous
Rémi
Pour les burakumin, je pense que si j’avais su que c’etait aussi tabou, j’aurais hesite un peu plus avant de poser la question ^^;
Non ‘tit fourmi si seules les portes ouvertes sont enfoncées, on ne se fraye pas un chemin original, tu as très bien fait de remuer où ça fait mal. En revanche ne te faches pas mais j’aimais les illustrations photo, un peu moins les dessins…
Certes, je ne suis pas très douée en dessin… Mais je n’ai rien trouvé question photo qui puisse illustrer une scène similaire (des gens choqués dans un café.)
Néanmoins, merci pour la remarque ! Je prends note
Moi ça me fait penser à la situation des intouchables d’inde
Oui, c’est un peu ça. Une sorte de caste inférieure.
Est-ce que le nom de famille Hiroshi peut être un nom de famille issu de la lignée burakumin – comme généralement c’est un prénom et qu’en tant que nom de famille c’est très rare au Japon, je me posais la question…
J’avoue que je n’en ai absolument aucune idée !
En fait le terme « burakumin » n’est pas si problématique que ça, les activistes qui militent pour l’émancipation des Burakumin sont plutôt d’avis qu’il faudrait « dé-tabouïser » l’appellation Burakumin plutôt que de juste jeter un voile dessus en pensant que ça résoudrait le problème. L’enjeu aujourd’hui, c’est plutôt de réussir à déconstruire les préjugés négatifs millénaires qui pèsent sur les Burakumin, au lieu d’opter pour l’option très japonaise de « si on en parle pas c’est que ça n’existe pas ». Bien sûr même chez les Burakumin, il y a certains courants qui préfèrent l’option de l’invisibilisation et du secret de leur origine, mais globalement, du côté des militants, on parle aujourd’hui de la nécessité de parler d’une « fierté buraku ».
Pour ce qui est des métiers, les Edits d’émancipation de 1871 ont mis fin aux monopoles traditionnellement assignés aux ancêtres des Burakumin (qui fonctionnait effectivement comme une caste), alors même si en effet, une partie des industries qui leur était « réservées » restent relativement aux mains des Burakumin (par exemple dans le quartier de Higashi-Sumida à Tokyo, et à Naniwa à Osaka, qui s’en revendiquent fièrement, et où l’industrie du cuir, du taiko, etc. est encore très majoritaire), on trouve des Burakumin dans tous les corps de métiers aujourd’hui (peut-être pas exactement dans les mêmes proportions que les Japonais de la majorité néanmoins), et inversement, des non-Burakumin peuvent tout à fait exercer des métiers liés au cuir, à la boucherie, etc.
Désolée de revenir sur votre article 8 ans plus tard, mais je me suis dit que quelques clarifications pouvaient toujours intéresser les gens qui tomberaient dessus par hasard 🙂
Bonjour et merci pour ces éclaircissements ! C’est très intéressant 🙂
Je ne savais pas que du côté Burakumin, on parlait de « fierté buraku ».
En revanche, il est vrai que les Japonais en général évitent le sujet, et que même si aujourd’hui, les Burakumin ou descendants de Burakumin ne sont plus cantonnés à certaines professions relatives à la mort (cuir, boucherie), ils font hélas toujours l’objet d’une certaine certaine discrimination dès lors qu’on découvre leurs origines.