Il est parfois difficile pour nous, petits Occidentaux, de mesurer à quel point le Japon est en retard sur nous en ce qui concerne l’égalité hommes/femmes. Difficile aussi de connaître le ressenti des Japonaises par rapport à cette situation. Ca tombe bien, Ary a évoqué ce sujet avec une jeune Kyotoïte, pas plus tard qu’hier !
(Attention néanmoins à ne pas faire de généralités en se basant sur cette seule confession, qui reste à nuancer. Il ne s’agit que d’une expérience parmi d’autres, au sein d’une entreprise au mode de fonctionnement encore archaïque. La situation réelle semble bien meilleure actuellement que celle qui est décrite ici, comme me l’ont confirmé des ami(e)s japonais.)
Entre franchise, frustrations et clichés tenaces, voici le témoignage de Rumiko…
– Ary : Bonjour Rumiko ! Parle-nous un peu de toi.
– Rumiko : je travaille comme secrétaire et j’ai déjà 35 ans. Je t’envie, petite fourmi, toi qui es encore dans la vingtaine. Au Japon, quand on a mon âge et qu’on n’est toujours pas mariée, la vie n’est pas facile.
– Ary : Pourquoi donc ?
– Rumiko : Au bureau comme dans ma famille, on me demande sans arrêt quand est-ce que je compte me marier. On n’arrête pas de me répéter que si je ne me dépêche pas, je ne trouverai plus personne qui veuille de moi et je ne pourrai plus avoir d’enfant.
Parfois, on ne me le dit pas directement mais j’entends les gens autour de moi qui en parlent. Ils disent par exemple : « Rumiko… Elle ne pourra sans doute jamais se marier. A son âge, ça devient difficile de trouver un partenaire ».
– Ary : Pourtant, il est possible de trouver un partenaire quel que soit son âge..
– Rumiko : Au Japon, ce n’est pas aussi simple. Il existe par exemple la théorie du « Gâteau de Noël ». Selon cette théorie, une femme qui a dépassé 25 ans devient périmée, comme un gâteau de Noël qui n’a pas été mangé avant le 25 décembre (*NOTE : au Japon, on fête Noël le 24 au soir).
On considère aussi qu’il faut se marier avant 30 ans, sinon on se transforme en « Make-inu », en perdante, en femme dont personne n’a voulu. Un peu comme les miettes d’un gâteau qui finiront à la poubelle, trop insignifiantes pour être mangées. Autrement dit, si on a dépassé 30 ans et qu’on est toujours célibataire, c’est qu’on a perdu toute valeur. Pour cette raison, on considère qu’il est beaucoup plus difficile de trouver un partenaire passé cet âge-là.
– Ary : Mais… Tu as vraiment envie de te marier, Rumiko ?
– Rumiko : Eh bien… Pas franchement, non. Mais c’est quelque chose que les gens autour de moi ne comprennent pas. La pression sociale est vraiment forte. Et les gens te méprisent si tu ne fais pas comme tout le monde. Tu es vraiment chanceuse Ary d’être une fourmi française. Là-bas, ce n’est pas grave d’être trentenaire. Pas vrai ?
Et puis les français sont beaucoup plus cool que les japonais, n’est-ce pas ? Les hommes français sont galants, gentlemen, romantiques…
– Ary : Heu, tu sais Rumiko… Il y a de tout en France. Il y a des hommes gentlemen, c’est vrai. Mais la France a aussi son lot de rustres et d’imbéciles… comme partout.
– Rumiko : Ah bon ? Vraiment ? Non, je suis sûre que les Français sont mieux que les Japonais. Tu sais, les hommes d’une quarantaine d’années et au-dessus sont très machistes au Japon. Au début, ils sont gentils, te portent tes sacs, sont gentlemen, et petit à petit ils deviennent macho, paternalistes et dominateurs. Je n’aime pas ça…
Heureusement, grâce à l’influence de l’Occident, les jeunes générations sont différentes. Leur caractère s’est adouci, et les femmes japonaises sont aussi en train de devenir plus fortes.
– Ary : Oui… On dit souvent que le Japon a environ 20 ans de retard sur l’Occident en ce qui concerne les relations et l’égalité entre hommes-femmes.
– Rumiko : Vraiment ? Je ne suis pas née à la bonne époque, alors… J’aurais du naître 20 ans plus tard ! Parce que tu sais, moi aussi au début j’étais quelqu’un de fort… Au travail, je n’hésitais pas à distribuer les ordres comme le font les hommes et j’aimais m’appliquer au travail. Et puis j’ai reçu tellement de remarques de mes supérieurs masculins, qui me disaient par exemple : « Eh mais en fait, tu n’es pas vraiment une femme, Rumiko ! » que j’ai fini par céder sous la pression.
Je sentais que les gens commençaient à me détester, à me mépriser. J’avais peur de me faire virer. Alors même si je n’aimais pas ça du tout, j’ai commencé à faire comme les autres filles « kawaii » aux manières de bébé : je faisais exprès de me rabaisser, de faire des erreurs, de dire des choses un peu idiotes…
Et la réaction de mes chefs a changé aussitôt :au lieu de me réprimander et de me regarder de haut, on me réconfortait comme un enfant à qui on ébouriffe le dessus du crâne, et on me disait « Ce n’est pas grave, Rumiko-chan. Ne t’inquiète pas pour ça ».
Je déteste les filles qui se comportent comme ça, mais si je veux garder ce travail, je n’ai pas le choix. Pourtant, je sais bien que si les femmes continuent à se rabaisser exprès, cela ne fera pas changer l’attitude des hommes, qui continueront à nous traiter comme de petits enfants mignons et faibles.
– Ary : Cette situation se retrouve dans toutes entreprises japonaises ?
– Rumiko : Là où je travaille, les responsables font partie des anciennes générations. Donc leur façon de penser et d’agir avec les femmes est encore archaïque et paternaliste. Mais petit à petit, dans d’autres compagnies dirigées par des équipes plus jeunes, la situation est en train de changer et de se moderniser.
C’est aussi pour cette raison que j’essaie de progresser sérieusement en anglais : je veux changer de travail et intégrer une de ces entreprises où je ne serai plus obligée de jouer les idiotes et de me rabaisser sans cesse. Où l’on arrêtera de me mettre la pression au sujet du mariage. Je veux me sentir libre d’être moi-même. C’est tout.
En quoi la France est mieux? La femme doit travailler pour confier l’éducation à des larbins de l’état? De nos jours c’est 31 ans et non 25 ans, pour sa famille et ses collègues elle est mal tombée (je ne fais pas une généralité ni n’approuve quoique ce soit, j’explique juste pour les français qui aiment faire de grandes généralités sur un pays qu’ils ne connaissent pas, source mon expérience propre là bas et surtout de ma femme qui est japonaise).
De faire la niaise ne vous met pas dans une position normale dans une société japonaise, j’ai un cas similaire dans mon travail…
Pour finir ma femme me dit très clairement : « quelle étrange femme ».
Bonjour,
Je tiens à préciser avant tout que cet article n’avait absolument pas pour objectif d’établir des généralités sur la condition féminine au Japon. Je ne l’ai peut-être pas précisé assez dans l’article, et c’était une erreur. Ce que j’ai écrit n’est que la confession d’une Japonaise, sur son ressenti et son expérience propre. Et je pense personnellement que son point de vue est un peu (beaucoup) archaïque, et qu’elle n’a pas eu de chance en tombant sur des patrons aussi intolérants. Néanmoins, j’ai trouvé que son témoignage était intéressant, et j’ai souhaité le partager malgré tout parce qu’il montre que, même si la situation des femmes s’est nettement améliorée au Japon depuis quelques dizaines d’années, il reste encore des progrès à faire. Et son expérience en est la preuve, même s’il ne représente pas une majorité (et tant mieux).
Je trouve vraiment bizarre que ses patrons jouent au rôle du p’tit papa
Le paternalisme a la vie dure au Japon… Heureusement, les patrons de ce genre arrivent bientôt à l’âge de la retraite !
Malheureusement, le paternalisme est présent dans toutes les sociétés patriarcales, donc en France aussi. Le problème c’est que les gens y sont habitués et qu’ils ne le voient pas. Et que ça n’a pas toujours la même forme. Je l’ai souvent vécu… 😧
Oui. Heureusement, ça évolue. Lentement, mais ça progresse.
Ce témoignage ne m’étonne pas et j’espère vivement que les mentalités changeront bientôt. Ce côté femme stupide et mignonne, on le retrouve partout dans les animés et les dramas japonais, d’ailleurs. Que ça m’agace !
Et oui, c’est sûr que les mangas n’aident pas!
Courage Rumiko, tu as l’air drôle et très maline!
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