« I’m a shy boy » (je suis un garcon timide), qu’il disait. Pourtant, après quelques verres, impossible de stopper le torrent de paroles qu’il s’est mis à déverser à la ronde. Et quelle histoire ! Celle d’un Japonais qui n’aime pas les cages, d’un aventurier malgré lui, d’un bavard endurci que l’on paie à baratiner la clientèle, d’un rebelle qui se laisse porter, solitaire, sur sa barque imaginaire.
« Si tu es un homme, vas-y ! »
Tout commence dans un café à l’ambiance sage, pour un échange linguistique. Yasu s’est d’abord présenté comme un amoureux de vieux rock, celui des années 50s, 60s : « Je jouais de la guitare dans un groupe, quand j’étais plus jeune ».. Avant de travailler comme « vendeur » à Osaka, ce japonais d’une petite trentaine d’années a vécu 2 ans en Allemagne.
Au gré de ses explications, il gribouille des schémas sur un bloc note. Sa main tremble un peu. Nervosité, ou manque de nicotine ? À son anglais se mêle du vocabulaire allemand, et son japonais est teinté d’un fort accent du Kansai, celui bien corsé d’Osaka.
« J’avais 17 ans quand j’ai décidé de faire Osaka-Hokkaido en vélo. C’est mon cousin qui m’a poussé à partir. Il m’a dit : « Yasu, est-ce que tu es un homme ? Oui ? Dans ce cas, vas-y ! » Tu penses bien, Ary, que j’ai pas pu refuser… Mon père était furieux, mais mon cousin est parvenu à l’amadouer.
J’ai mis à peu près un mois à rejoindre le Nord du Japon. Mais je me souviens surtout de mon passage à Toyama, où j’ai longé une falaise surplombant la mer. Ce chemin, si étroit que je craignais sans arrêt de tomber, se nommait « Oyashirazu, 親不知 » (« parents inconnus ») car autrefois, lorsqu’on devait l’emprunter, on ne savait jamais quel membre de la famille allait y rester…
Après avoir bien sué, je suis arrivé à mon but. Il y avait là un distributeur de glaces. C’était des Häagen-Dazs, je m’en souviens encore. Même si j’avais pas un rond, je m’en suis payée une pour me récompenser et l’ai savourée en regardant le coucher de soleil. Ce n’est qu’une fois la nuit tombée que j’ai réalisé, comme un idiot, que j’étais loin d’être arrivé au bout de la route… En fait, je venais seulement d’atteindre le point de départ !!
Comme c’était trop dangereux de dormir là, j’ai du poursuivre ce trajet de l’enfer dans la nuit, avec des camions qui me frôlaient de quelques centimètres et la mer qui se fracassait sur les rochers en contrebas. J’ai du hurler le nom de ma mère plusieurs fois tellement j’étais mort de trouille !
Arrivé à Hokkaîdo, j’ai pris le bateau pour rentrer. Je crois qu’à ce moment là, au milieu des flots, je ne me suis jamais senti aussi seul de ma vie. Et une fois revenu chez mes vieux, je n’avais pas spécialement l’impression d’avoir grandi. Tout est redevenu banal. Et je me suis dit « Ok, c’est ça la vie en fait… »
Le Périple Allemand
Quand j’étais ado je m’intéressais beaucoup à l’art, et j’adorais l’un de mes profs particuliers de peinture, un ancien torréfacteur. Même s’il passait plus de temps à me parler de café qu’à me conseiller sur mes croquis, j’ai eu envie de suivre sa trace. J’en avais les capacités, puisque j’ai réussi mon examen à une grande université d’Art ! Mais j’ai réalisé que, à part ce prof que j’admirais, je n’ai jamais respecté mes autres enseignants… Et je crois que j’avais peur de devenir comme eux, aussi sérieux et rigide… Alors, j’ai arrêté l’Université au bout d’un mois… Ahaha ouais, c’était très court !
J’ai alors passé quelques temps à ne rien faire d’autre que de jouer du rock avec ma bande. Après ça, ma copine de l’époque est partie en Allemagne et m’a lancé un ultimatum : « Yasu, si tu ne me rejoins pas, je te quitte ! » qu’elle m’a dit. Alors bon. Ca tombait bien, parce que j’en avais un peu assez de ma bande de rockers, que je voulais laisser tomber pour créer ma propre musique. C’est ce qui m’a poussé à la suivre. La vie m’avait encore poussé à faire un truc de fou…
Au final, ma copine m’a quitté 3 mois après mon arrivée à Franckfurt. Elle s’était trouvé un autre mec, un Allemand bien musclé. Un de mes amis, en plus. J’ai néanmoins décidé de prolonger mon séjour, car je ne voulais pas rester sur de mauvais souvenirs. Je me suis inscrit dans une école de langues. Et le soir, je bossais dans un resto japonais.
L’école organisait des échanges linguistiques, que je trouvais chiants comme la mort. Tout le monde y était trop sérieux et on ne communiquait pas vraiment. Avec un ami, ça n’a pas été facile de les convaincre, mais on a réussi à les inviter à boire l’un après l’autre, puis tous ensemble. Et là, l’ambiance s’est détendue et on a vraiment commencé à faire des progrès et à s’amuser ! C’est comme ça qu’après un an, je suis parvenu à m’entourer d’une vraie bande de potes.
Quant à mon taff au restaurant, il était régulièrement fréquenté par quelques clients importants : des PDG de grandes entreprises japonaises notamment. Or, mon rôle consistait surtout à m’asseoir avec eux, à boire des verres et à leur faire la conversation pendant des heures… D’après le chef, j’étais doué pour ça, et j’aidais à fidéliser les clients. Finalement, je faisais assez peu la cuisine !
Je suis resté 2 ans en Allemagne. Par conséquent, lorsque je suis rentré, je n’avais jamais vraiment travaillé. Comme tu peux l’imaginer, dans un pays aussi conservateur que le Japon où chaque petite déviance fait de toi un paria, j’ai eu du mal à trouver un emploi. La vraie galère allait commencer… C’était en 2012.
Dis-moi Ary, ça fait déjà 2 heures qu’on parle là, tu n’as pas faim ? Allez viens, on va manger un truc…. ! » (à suivre…)
Ping : La liberté au bon parfum d’ordures | Une fourmi à Tokyo