Au Japon, comme on ne fait jamais rien comme tout le monde, on ne fête pas vraiment Noël. A la place, il existe l’« O-Seibo », une coutume consistant notamment à offrir un cadeau à ses supérieurs ou… à son docteur ! Témoignage d’une femme de médecin que cette tradition aux allures de marathon fait suer chaque année.
Une de mes élèves _que nous appellerons Misako_ m’a récemment confié le calvaire qu’elle vivait chaque mois de décembre quand revient la saison du O-Seibo. Petite femme d’une cinquantaine d’années, Misako est toujours habillée très chic, sac Vuitton à l’épaule, petits talons, cheveux noirs lustrés et permanentés. C’est aussi et surtout l’épouse d’un médecin réputé possédant sa propre clinique. Elle est très fière du statut que cela lui confère, mais doit aussi faire face à un certain nombre de responsabilités associées.
L’une d’elles concerne justement cette coutume hivernale du « O-Seibo » (お歳暮). Alors c’est quoi exactement, l’O-Seibo ?
– Misako : C’est une vieille habitude japonaise destinée à remercier ses supérieurs, ou toute personne nous ayant rendu service au cours de l’année. On adresse en général les cadeaux de « O-Seibo » à ses patrons, professeurs, à sa belle-famille ou encore à son médecin _surtout si on a une maladie chronique ! Hélas, même si c’est une belle tradition, les jeunes générations la délaissent de plus en plus.
– Ary : Si c’est une belle tradition, pourquoi cette coutume te fait tant suer ?
– Misako : Tu sais Ary, ce n’est pas facile d’être la femme d’un médecin au mois de décembre ! Tu ne peux même pas imaginer la quantité de cadeaux que l’on reçoit de la part des patients dès le 1er du mois, et pendant une vingtaine de jours. Alors oui, c’est bien, mais on ne sait jamais où stocker tout ça ! Et chaque fois, c’est moi qui dois me charger de rédiger les lettres de remerciement qu’il faut envoyer très vite après la réception de chaque cadeau. Ca me prend un temps fou !
– Ary : Ca ne ressemble pas un peu à des pots de vin, d’offrir des cadeaux à son médecin ? Si on ne lui offre rien, il nous soigne mal ?
– Misako : Ah non, pas du tout ! On n’attend rien en échange. C’est un simple témoignage de sa reconnaissance. Et aussi, une sorte d’excuse ou de compensation pour les efforts déployés par le médecin pour nous soigner. Mais ce n’est pas obligatoire et ça ne change rien. A part témoigner sa gratitude et son désir de conserver de bonnes relations à l’avenir. Avant, j’avais l’habitude d’offrir des cadeaux de O-Seibo à ma belle-famille. Mais comme ils sont quasiment tous médecins, ils en reçoivent TELLEMENT chaque année que les miens passaient inaperçus… Alors j’ai arrêté.
– Ary : Quel est la valeur de ces cadeaux ?
Misako : Actuellement, on considère qu’un cadeau de O-Seibo doit coûter 5000 yen ou plus (environ 38 euros). Autrefois, c’était 3000 yen (environ 23 euros). Ce ne peut pas être 4000yen, car il faut que le chiffre soit impair ! En effet, s’il est divisible par deux, cela symbolise la cassure ou la rupture d’une relation, et donc ça porte malheur… C’est la même chose pour l’argent qu’on offre pour les mariages : jamais de chiffres pairs.
– Ary : Quel genre de cadeaux ton mari reçoit-il ?
Il s’agit souvent de nourriture : des fruits, de la viande, du thé, de l’alcool ou autre… Mais le problème, c’est qu’il existe des « tendances ». L’année dernière par exemple, la mode était au jambon, car on imaginait qu’il était possible de l’utiliser de multiples façons en cuisine. On nous a alors fait livrer des toooooonnes et des tonnes de jambon de qualité supérieure. Des MONTAGNES de jambon en bloc ! L’ennui, c’est que ça se périme assez vite, et qu’on en a reçu tellement que ça ne tenait pas dans le réfrigérateur. Alors on a du en conserver à l’extérieur de la maison, dans le froid de décembre…
– Ary : Quelle était la tendance, les autres années ?
– Misako : Il y a quelques temps il y a eu la mode des savons. On a donc reçu un nombre incalculable de paquets de savons parfumés, bio, importés, etc. Mais au moins, il n’y avait pas de date de péremption. On a donc reçu de quoi rester propres et parfumés pour 1 ou 2 ans ! (*rire*)
» Hélas, les savons ont été remplacés par la mode des pommes l’année suivante… Et ça, c’était un vrai cauchemar. On en a reçu par cageots de 20 ou 30, car la valeur du présent doit atteindre au moins 5000yen. Tu imagines, Ary ? Des dizaines et des dizaines de cageots, c’est beaucoup trop ! On croulait sous les pommes, et j’ai du préparer du jus ou de la compote tous les matins jusqu’à janvier pour écouler tout le stock. Éplucher, épépiner, mixer des fruits à chaque réveil… J’en avais par-dessus la tête !
– Ary : J’en déduis que décembre n’est pas très drôle pour les femmes de médecin…
– Misako : Tu as tout compris, Ary. On utilise d’ailleurs l’expression « Shiwasu » (師走), tu connais ? 師 signifie « le Maître » et 走 veut dire « courir ». On dit ainsi que même le Maître de maison (dont la vie est paisible en général) doit courir partout en décembre, tellement il y a de choses à faire ! Ce mois-ci, après avoir terminé de rédiger les lettres de remerciement, il faudra que je fasse le grand ménage de fin d’année… Que j’achète les cadeaux de O-seibo pour les collègues médecins de mon mari… Que je rédige des dizaines de cartes de Nouvel-an… Puis il y aura les préparatifs du Réveillon… Ah, décidément, vivement le mois de Janvier !
Heu… Je crois que 5000 yen, c’est un peu cher pour moi. ^-^;
Je connaissais cette coutume et d’ailleurs je pensais qu’elle avait lieu deux fois par an une en août et l’autre en décembre.
D’ailleurs les professeurs aussi sont concernés de la part des parents d’élèves. Non ?
En tout cas je n’imaginais pas que cela pouvait être aussi pénible de recevoir des cadeaux.
Le O-seibo (décembre) est plus populaire que le O-chugen (juillet-aout), même si les deux traditions se perdent de plus en plus.
En tant que professeur, on reçoit pas mal de cadeaux en décembre, c’est vrai ! 🙂 Mais je trouve qu’ils s’apparentent davantage à des petits cadeaux de Noël (une poignée de chocolats, une boite de biscuits…) qu’à un vrai présent de Oseibo (qui est censé valoir plus de 5000 yen/38 euros).
Ce n’est pas comparable avec ce que reçoivent les familles de médecin, en tout cas. Et tant mieux… !
Merci pour tes éclaircissements.
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Cette histoire de mode de cadeau est assez étrange. Ne s’imaginent-ils pas qu’elle va recevoir beaucoup trop de viande ou pommes et que c’est périssable ?
Chez nous on profiterait de la famille et des amis pour refourger ce qu’on a en trop, ça ne semble pas être une option au Japon. ☺ Merci pour l’article.
Si, ils l’imaginent peut-être. Mais ce n’est pas leur problème ^^;
Dans la tradition, il faut faire comme ça. Donc ils le font, et c’est tout.
Et c’est très japonais, comme façon de procéder 🙂
Je ne connaissais pas cette coutume. C’est ma première année au Japon, et j’ai tellement de gens à remercier ici que je vais finir le mois de décembre totalement ruiné ! 🙂 Merci pour l’information en tout cas.