Qu’elles sont chou, ces petites mamies en kimono courbées sur leur caddie ! Et ces grands-pères sans gêne qui ne ratent jamais une occasion d’exercer leur anglais… On parle souvent des japonais âgés sous un angle négatif (solitude, maltraitance, fardeaux de la société). J’aimerais aujourd’hui vous les présenter sous un autre jour, au fil d’anecdotes.
« May I help you ? » (Puis-je vous aider ?)
3e jour au Japon, deux petites fourmis perdues dans la gare bondée de Kyoto. Gato et moi (Ary) cherchons notre chemin tout en évitant de disparaître sous la chaussure de quelque voyageur pressé. C’est là qu’un papi japonais tout rabougri s’abaisse à notre hauteur pour nous proposer son aide d’un anglais chevrotant.
Attendris, nous lui montrons la carte. Il nous pointe une direction. Au cas où l’on se perde sur ces quelques mètres en ligne droite, il décide alors unilatéralement de nous accompagner.
Il est gentil. Mais il marche lentement. Siiii lentement, qu’on finit par s’incliner bien bas pour le remercier et poursuivre notre marche en solo. Il semble déçu, mais nous dit au revoir en souriant.
Le papi gênant

Notre vraie place au resto.
Jour 4. Restaurant de Sukiyaki sur la rue Teramachi. A genoux sur des zabuton, notre place est délimitée par de petits paravents de bois. A peine installés qu’un petit vieux sur le départ se glisse jusqu’à nous et engage la conversation : « nineteen ». « Thirty ». « Old » « This place ». (« 19. 30. Vieux. Cet endroit »). Nous comprenons _non sans mal_ que cet établissement existe depuis 1930. Il nous indique ensuite dans un anglo-nippon approximatif qu’il connaît un resto de Sukiyaki encore meilleur que celui-ci : « Saikô ! » (« Il est exceptionnel »). Ravis, on lui tend un carnet pour qu’il y inscrive le nom. Le papi s’exécute et pousse le zèle jusqu’à nous dessiner un plan du concurrent.
Il ne se décale pas d’un centimètre lorsque la serveuse _une petite mamie_ lui signale qu’elle a besoin de la place d’un « sumimasen » agacé (« excusez-moi »). Papi l’ignore superbement et s’applique à tracer des lignes à peu près droites (sans grand succès). Quant à la serveuse, elle se cale contre lui sans le regarder, le pousse discrètement, puis allume le réchaud d’un air pincé.
Une fois terminé, le vieux nous rend le carnet d’un sourire. La serveuse lui indique alors froidement la direction de la caisse, où il se dirige sans broncher pour payer son dû.
Fais ce que je dis, pas ce que je fais
Jour 5. Un soir, dans la rue. Gato me souffle à l’oreille : « Hey, c’est pas interdit de fumer dans la rue ici ? » au moment où un papi nous croise en scooter à 2 à l’heure, une cigarette au bec. « Si, c’est interdit ».
Je m’ennuie. Parle-moi !
Jour 13. Dans un train de campagne allant de Tanabe à Osaka. Un grand-père à l’air ronchon s’assied côté couloir, proche de nous, et commence direct à baragouiner quelque chose en anglais à mon compagnon. Gato, qui n’a pas envie de discuter-là-tout-suite, lui répond sommairement, puis se tourne vers moi, l’air très absorbé par ma conversation. Le petit vieux sur son siège se met alors à s’agiter, puis à bâiller ostensiblement _et bruyamment_ pendant une bonne heure pour attirer son attention, puis finit par s’endormir, son bob lui glissant sur les yeux.
Mamie-sensei
2 ans avant, 1er resto de sushi au Japon pour Gato : « Tous les clients sont alignés au bar. En bons européens, moi et mon ami commençons à empoigner nos sushis à la baguette, puis à les tremper dans la sauce avant de croquer dedans.
On aperçoit bientôt les regards horrifiés de la petite mamie assise à côté. Elle tente de nous parler, puis réalise qu’on ne comprend pas sa langue. Elle passe alors par le geste en nous montrons la bonne façon de faire : tourner le sushi sur le côté avant de le saisir, puis le faire pivoter de façon à ne tremper que le poisson dans la sauce. On la surprend ensuite à nous observer pendant tout le repas. Elle aimerait sans doute discuter, mais la barrière de la langue nous empêche de le faire. »
« Ils aiment s’approprier les espaces où ils vont souvent »
Même son de cloche avec mon amie « Nono » _une française, ancienne collègue à moi_ qui habite maintenant à la campagne. « J’aime bien les petites vieilles aussi. J’ai même mon petit club de mémères ! Elles sont sœurs et se rencontrent tous les jours au supermarché du coin. Elles parlent à tout le monde et repèrent tout de suite les nouvelles têtes. Quand elles ont vu que je revenais, elles ont commencé à me taper la discute. C’est comme ça à chaque fois que je les croise.
Y’a un vieux monsieur qui aime bien s’incruster et venir me parler. Mais le groupe de petites dames le trouvent louche… Y’ en a d’autres qui m’interpellent pour me dire « きれいだなあ » (kirei da naa => « que vous êtes jolie ! ») mais je pense qu’ils ont un grain…
De façon générale, j’ai l’impression qu’ils aiment bien s’approprier les espaces où ils vont souvent. C’est pour ça que dès qu’il y a un nouveau, ils le remarquent tout de suite.
En ville par contre, il leur arrive parfois de pousser les gens. Une fois dans un bus, une petite mamie a attrapé une dame, et l’a fait bouger dans un coin. J’étais un peu choquée ! Je me souviens aussi de ce vieux monsieur qui prenait toute la place dans les escalators alors que j’étais pressée. Je voulais descendre rapidement et lui ai dit « sumimasen » trois fois. Là il m’a hurlé « MAIS C’EST INTERDIT DE MARCHER DANS LES ESCALATORS » en japonais. Pareil, j’étais un peu sonnée ! »
Conclusion
Par rapport au reste de la population, la 3e génération semble donc se démarquer par leur attitude plus relâchée et spontanée. Parfois c’est positif, comme cette aisance à parler avec des inconnus, avec chaleur, générosité et franchise à la fois. D’autre fois, c’est un peu gênant lorsqu’ils se mettent à ignorer certaines règles de société, sans cesser de se comporter en donneurs de leçons. De drôles d’oiseaux, en somme.
Il n’empêche, je les aime bien, ces petits vieux japonais ! Ils me font rire, et m’attendrissent aussi. J’apprécie le fait qu’ils soient beaucoup plus accessibles que la plupart des locaux, qu’on parle japonais, ou non ! J’admire aussi leur énergie, car la plupart sont très actifs : voyages, activités manuelles et sportives, poursuite du travail, bénévolat… Ils ont aussi le cœur sur la main.
Hélas, comme le prouvent les quelques articles ci-dessous, ce sont aussi des personnes très seules et isolées. Leur famille se désengagent souvent de leurs responsabilités par rapport à leurs parents âgés, leur rendant très peu _voire pas du tout_visite. Les cas de maltraitance à leur égard ne sont pas rares non plus.
Raison de plus pour aller vers eux, leur sourire, leur parler un peu. Apprendre à les connaître. Ils n’en demandent souvent pas davantage.
Liens divers
« Les travailleurs âgés, on les voit partout dans Tokyo. Portiers, distributeurs de tracts, artisans, et même cadres dans les entreprises. (…) Tous étaient salariés et veulent continuer à travailler. Certains parce qu’ils en ont besoin pour compléter une retraite trop maigre, d’autres parce que c’est une façon de ne pas être seuls »
https://www.la-croix.com/Monde/Au-Japon-coule-vieux-jours-heureux-travail-2016-03-02-1300743699
« Je ne sers à rien en restant chez moi à me tourner les pouces », décrète l’octogénaire, ancien vendeur de bonbons dans un grand magasin. « Je travaille pour garder la forme ».
https://www.liberation.fr/planete/2015/05/17/ages-et-maltraites-le-fleau-japonais_1311117
» Les agressions perpétrées dans des centres de soins et des maisons de retraite ont également augmenté. »
http://japanization.org/ladorable-amitie-entre-une-grand-mere-japonaise-et-son-chat-photographiee/
« La photographe Miyoko Ihara s’est laissée séduire par l’amitié d’une grand-mère et de son chat (…) Alors que la population japonaise connait un vieillissement de sa population, les animaux de compagnies jouent un rôle de substitut à la solitude. »
https://japantoday.com/category/features/kuchikomi/elderly-peoples-manners-increasingly-deplorable
» The elderly are developing atrocious manners. They are rude, pushy, selfish and loud-mouthed – not everyone, of course, he hastens to add; maybe even only a few – but the impression those few make really stands out. »
J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir.
Merci Angelilie ! Je ne manquerai pas d’aller faire un tour par ton blog.
Ping : L’étonnant pouvoir des bouteilles en plastique | Une fourmi à Tokyo