Pas le temps de niaiser pour les enfants nippons !

   Parce qu’on ne devient pas salaryman en un jour, les petits japonais possèdent déjà des emplois du temps de ministre. Debout à 6h, couchés entre 22h et 0h, ils jonglent entre l’école, les clubs d’activités, les cours privés, la préparation aux concours… Pas le temps de s’ennuyer, peu de temps pour jouer. Voici un petit aperçu de leur quotidien !

En Europe, on considère souvent « l’enfance » comme une période bénie où, certes on va à l’école et on apprend, mais surtout, on profite de la vie, de la famille, on joue, on découvre et on se fait des amis.

Ici au Japon, on ne laisse que peu de temps libre à l’enfant pour jouer ou se détendre. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, la plupart des petits japonais s’en accommodent très bien ! Après tout,  pourquoi notre système serait-il forcément meilleur ?

   Alors oui, les enfants japonais sont épuisés. Oui, il n’est pas rare qu’ils s’endorment en cours (et d’ailleurs, les professeurs les laissent souvent faire, considérant qu’ils seront plus attentif après quelques minutes de sommeil). Pourtant, loin de se plaindre, ils semblent apprécier et même réclamer ces activités extra-scolaires. D’ailleurs, en quoi consistent-elles exactement ?

Commençons par les clubs d’activités : ils se déroulent après la classe (entre 2 à 5 heures par jour !), et se poursuivent parfois les week-ends ou vacances. Il peut s’agir d’un sport, d’un art martial, de musique, de cuisine, de dessin, de calligraphie… Il est mal vu de ne participer à aucun car c’est ce qui permet à l’enfant d’intégrer certaines valeurs propres à la société japonaise (esprit d’équipe, dépassement de soi, bonnes manières, respect des ainés…) et de lui donner l’occasion de créer des liens de confiance et de coopération avec les profs (responsables des clubs). Il est intéressant de constater que pour certains élèves, les clubs sont aussi ce qui donne du sens à l’école.

Ensuite, dès la primaire, beaucoup d’enfants nippons fréquentent un juku (école de bachotage) un à plusieurs soirs par semaine. Ces cours permettent de pallier au niveau moyen et à la trop grande uniformisation du système scolaire officiel. Ils les aident aussi à se préparer aux concours d’entrée des écoles bien réputées (primaires, collèges, lycées, universités…) où la concurrence est féroce.

   Les juku ne se limitent pas au bachotage. Il en existe toute une gamme allant des cours de langues, de musique, d’art ou autres. C’est un véritable marché qui a explosé dans les années 1970 (au moment où la situation économique a permis aux familles d’investir dans l’éducation des enfants) et qui ne cesse de grandir et se développer. Parmi les statistiques intéressantes : en 2008, 40% des élèves d’école primaire et 77 % des lycéens aurait fréquenté un juku au moins une fois.

Ce qui motive autant les enfants (après tout, c’est une école après l’école…), c’est souvent leur attachement aux profs de juku, qu’ils trouvent bien plus sympas, intéressants et encourageants que ceux du système d’éducation officiel. L’ambiance est cool et ils apprennent en s’amusant. Beaucoup de petits nippons choisissent d’y aller pour rejoindre un ami ou s’en faire de nouveaux.

D’autres veulent éviter de prendre du retard ou souhaitent avoir de meilleures perspectives d’avenir. Certains le font pour ne pas décevoir leur famille. D’autres parce que leurs parents travaillent tard et qu’ils trouvent angoissants de rentrer dans une maison vide… D’autres enfin ont juste le béguin pour un des instructeurs/trices !


Ary est donc allée mener sa petite enquête auprès d’une dizaine d’enfants pour leur faire parler de leur quotidien :

– Bonjour, moi c’est Yudai ! J’ai 11 ans. Tous les samedis, j’ai 3h de cours et pratique d’anglais. Chaque dimanche j’ai un cours de guitare et une semaine sur deux, un cours de langue française. Les dimanches après-midi, je fais tous mes devoirs. Et la semaine, j’ai aussi des cours de ping-pong et de natation. Je dois bientôt passer un examen d’anglais et un autre de Kanji, alors je dois me préparer à ça aussi. J’ai pas vraiment le temps de jouer… Ni de bien pratiquer la guitare. Je suis fatigué, oui. Mais ça va quand même !

– Bonjour. Je m’appelle Akira et j’ai 9 ans. J’ai école de 8h à 15h. Après ça, 4 fois par semaine, ma mère m’emmène au juku où je reste jusqu’à 19h environ. J’y prends des cours de japonais, boulier, anglais, maths et quelque chose qu’on appelle « puzzle ». J’aime bien aller au Juku. J’y ai beaucoup d’amis ! Parfois, c’est difficile mais je fais de mon mieux.

– Salut ! Moi, c’est Minako. J’ai 9 ans et je suis l’amie d’Akira. Avant je venais comme elle 4 fois par semaine au juku, mais j’en ai eu marre donc maintenant je prends seulement des leçons d’anglais. C’est pour passer plus de temps avec ma famille que j’y vais moins.

– Salut ! Nanako, j’ai 7 ans. Après l’école, je vais au juku 4 fois par semaine. J’ai plein de cours différents : anglais, japonais, math… Tout ça jusqu’à 18h30 environ. J’ai de bonnes copines ici.  Des fois, c’est difficile. Les tests en anglais par exemple. Mais je m’amuse bien !

– Bonjour, je m’appelle Kai. J’ai 10 ans. Je vais au juku 2 fois par semaine où je prends des leçons d’anglais pendant 2 ou 3h. J’y vais parce que ma mère est stricte et j’ai pas trop le choix.

– Moi, c’est Takashi. J’ai 12 ans. Je fréquente le juku depuis tout petit. En ce moment, j’y prends des cours d’anglais et je prépare un concours d’entrée au collège. Je suis fatigué car on étudie de 17h30 à 20h30, deux fois par semaine, en plus du samedi où je dois rester tout l’après-midi pour passer des examens blancs.

– Moi, c’est Shinchi. J’ai neuf ans. Je vais au juku chaque lundi pendant 2h. Le week-end, j’ai football. Samedi et dimanche, toute la journée. Le lundi je suis crevé et j’étudie pas trop. Alors les profs se plaignent… Avant j’allais au Juku beaucoup plus souvent, mais c’était trop fatigant donc j’ai arrêté.

– Salut, c’est Kiyoko ! J’ai presque cinq ans. En ce moment, j’y suis de 15h jusqu’à 17h30 environ, 4 fois par semaine, pour des cours d’anglais et de musique (violon et piano).

En plus de ces témoignages, on peut ajouter que les cours de juku coûtent souvent très cher aux familles, et toutes ne peuvent pas se le permettre, ce qui déséquilibre un peu l’égalité des chances… D’un autre côté, le niveau d’exigence des parents est bien plus élevé qu’autrefois (surtout depuis la baisse de natalité), et les concours d’entrées ne sont pas moins sévères. L‘univers des enfants japonais tourne donc autour de ces institutions, laissant très peu de place à l’oisiveté et l’insouciance. En contre-partie, ils y acquièrent le goût de l’effort, la discipline, le savoir-vivre et l’esprit de groupe propres à la société japonaise.

Et vous, que pensez-vous de cette façon d’éduquer les enfants ?

Pour creuser davantage le sujet, voici une série de liens intéressants (en plus de ceux intégrés à l’article) :

https://journals.openedition.org/dse/489

« L’enquête montre que la fréquentation d’un juku a toutefois des conséquences plus « contrastées » sur l’aspect social et relationnel de la vie des écoliers. Si 69,3 % de ceux-ci déclarent avoir augmenté le nombre de leurs amis hors de l’école, ils sont 71,3 % à affirmer ne plus avoir le temps de s’amuser avec leurs camarades d’école. Dans le même ordre d’idée, 59,3 % affirment qu’ils n’ont plus de temps pour faire « ce qu’ils ont envie de faire », et 35,3 % qu’ils n’ont plus la possibilité de prendre leur dîner en famille. »

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https://dozodomo.com/bento/2017/02/10/juku-necessite-educative-business-florissant/

« L’ ambiance décontractée des juku, aux antipodes du système scolaire classique, compte parmi l’une des raisons pour lesquelles les juku sont si populaires au Japon. »

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https://www.tofugu.com/japan/japanese-cram-school/

« Now, you may think I’m a bit of an oddball because I actually liked juku (cram school), but I’m not the only one. I interviewed some people who attended cram schools when they were younger and I found that every single one of these girls really enjoyed going, at least in retrospect. »

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5 commentaires pour Pas le temps de niaiser pour les enfants nippons !

  1. celi466 dit :

    Bonjour Ary, ton titre m’a fait sourire. Le Québec a laissé des traces. J’ai des questions pour toi qui ne concernent ton sujet qu’indirectement mais qui pourraient t’intéresser. Écrire le japonais est difficile et tous ne sont pas aussi doués. Il doit bien y avoir des analphabètes au Japon? Comment arrivent-ils à fonctionner? Et la dyslexie ? Comment cela se manifeste-t-il avec une langue qui s’écrit avec des idéogrammes ? Y a-t-il des services pour les aider? Je sais, c’est beaucoup pour une petite fourmi mais si jamais ça adonne. ..

    • Ary dit :

      Oui en effet, le Québec a laissé des traces ^^; Cette expression me fait rire, du coup elle est restée.

      Pour les Japonais et l’écriture, c’est une super idée de sujet ! Je la garde dans un coin de ma tête et je vais mener mon enquête 🙂 Merci beaucoup !!

  2. migmoug dit :

    Bonjour,
    l’expression « niaiser » m’a aussi fait sourire pour son côté typiquement québecois…
    Cet article est intéressant, mais semble montrer une société de la performance dans laquelle le bien-être personnel n’a que peu de place. Cette éducation est-elle liée, d’après vous, au taux de suicide au Japon (travailleurs)? Cela peut-il aussi expliquer la pratique décrite dans l’excellent article que vous aviez publié il y a quelques mois : L’art de ne rien faire – bootto suru?
    Merci encore pour ces articles instructifs et dépaysants!

    • Ary dit :

      Bonjour !

      Oui, je pense que le Japon est clairement une société de la performance. D’après ce que je vois de la génération actuelle, depuis très jeunes, on encourage les enfants à faire toujours plus de choses/d’activités/de cours particuliers/etc.

      Je pense que la notion de « bien-être personnel », par contre, est juste différente de la notre.
      Qu’est-ce que le bien-être ? Pour eux, c’est peut-être juste se sentir bien sur son lieu d’étude/de travail/avoir de bons amis/relations/se sentir bien intégré et utile à la société ? Il y a peut-être une différence de définition ici, et de culture.

      Pour le taux de suicide, on en fait toute une montagne, mais en regardant les stats, on voit qu’il est plus élevé en Belgique qu’au Japon, et qu’on n’est pas très bien notés en France non plus. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_taux_de_suicide#cite_note-3)
      Par contre, ce qui + inquiétant c’est le phénomène du Karoshi (https://fr.wikipedia.org/wiki/Kar%C5%8Dshi), qui désigne « la mort subite de cadres ou d’employés de bureau par arrêt cardiaque ».
      Au Japon, les gens sont éduqués pour avoir le goût de l’effort, du dépassement de soi, et de la loyauté, et ils sont éduqués dans la culture de la ‘honte’. Ils ne font rien à moitié. Au travail, au sport, dans leurs loisirs… Et c’est ce qui mène au suicide lorsqu’ils échouent, ou perdent leur travail, ou divorcent… Ce qui mène à des comportements de surmenage, et parfois au suicide aussi. Car ce sentiment d’échec et de honte, vis à vis de la société et de soi-même, leur est particulièrement insupportable.

      Mais oui, peut–être bien que tout ça est lié au « bootto suru » 😀 Ils sont tellement épuisés le soir ou le week-end, qu’ils doivent apprécier de juste mettre leur cerveau sur « off », de temps en temps.

      Merci à vous de me lire 🙂 Ce genre de commentaires m’encourage à continuer ! (J’aime bien l’idée de votre blog aussi ^-^ C’est un gros travail de répertorier tout ça !)

      • migmoug dit :

        Merci, c’est vraiment intéressant! J’ai été surprise de découvrir les « chiffres » des taux de suicide dans le monde.
        Oui, oui, continuez, je vous lis à chaque fois! 🙂

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