Le Shingata-Corona-Wirusu au Japon

Certains le nomment « Corona-Virus », d’autres « Covid-19 », d’autres encore (moins recommandables) « le virus chinois ». Au Japon, on l’appelle 新型コロナウィルス (le « Shingata-Corona-Wirusu », pour faire simple, n’est-ce pas) et cet article retrace les différentes étapes de son passage ici, et comment les locaux le perçoivent et vivent avec.

Attention, je ne parle pas de science ici, ni de statistiques (internet déborde déjà de chiffres concernant le problème) : j’aimerais seulement ouvrir une fenêtre sur la façon dont le Japon vit et a vécu cette période un peu spéciale.

Les débuts (janvier ~ début avril)

Au Japon, Gatô et moi avons commencé à entendre parler de ces histoires de Corona-virus en début d’année (janvier 2020). À ce moment-là, le problème se limitait à la région entourant la ville de Wuhan en Chine. Il se disait que les animaux n’étaient pas concernés (et les fourmis, encore moins que les autres) mais si Gatô et moi étions quand même soucieux, toute cette agitation nous semblait assez lointaine. On fréquentait encore les restaurants, cafés et parcs sans trop se poser de questions.

Et puis les premiers cas se sont déclarés au Japon (À l’Aéroport d’Osaka, et parmi les guides ayant voyagé en car avec des personnes originaires de Wuhan). Avec eux sont apparues les premières rumeurs. Je peux vous citer celle d’un chinois manifestant des symptômes du fameux « Shingata-Corona-Virus » qui aurait échappé volontairement au contrôle médical de l’aéroport d’Osaka, avant de se mêler à la population de la métropole du Kansai (et au cas où, ce n’était vraiment qu’une rumeur) !

La peur a commencé à se répandre insidieusement parmi les habitants. Et une certaine méfiance envers nos voisins de l’ouest s’est ajoutée au racisme anti-chinois déjà bien ancré. Sitôt qu’on entendait parler chinois, on s’écartait. La langue chinoise produisait un effet repoussant, au moins autant que les gens qui toussaient ou éternuaient sans masque. Bien sûr, les habitudes ont changé aussi : on commençait à se laver les mains beaucoup plus souvent. Dans les cafés, les carafes d’eau à libre disposition ont été enlevées (remplacées par des bouteilles d’eau payantes…). Et bientôt, la pénurie de masques a frappé, ici comme ailleurs.

Parmi les autres rumeurs stupides, l’idée qu’on manquerait de papier toilette à cause de la crise en Chine. Sauf que le Japon en produit aussi, donc à priori ça n’aurait pas dû arriver… Sauf si une rumeur faisait croire le contraire, entraînant des ruées au rayon hygiène, réalisant finalement la prophétie… J’ai aussi entendu que la femme de Justin Trudeau (premier ministre canadien) était décédée du Corona-virus (faux) !

On commençait à se méfier des amis aussi. « Oh, tu reviens de Disneyland ? ahaha, cool. Hum… Tu t’es lavé les mains hein ? Ah non c’est bon t’inquiète, je vais me servir tout seul… »

Mais en dehors de ça, la vie se déroulait comme d’habitude : on attendait avec impatience l’éclosion des cerisiers, tandis que les publicités pour Tokyo 2020 fleurissaient sur les écrans, dans la rue et les transports en commun. Toutes ces histoires venant d’Europe, c’était loin. Et ce fameux paquebot de croisière, le Diamond Princess, « cela ne nous regardait pas ». Ou pas vraiment. Une honte nationale qu’on cherchait à oublier. Et puis d’ailleurs, on parlait de « L’Exception Japonaise » dans les médias étrangers, et on pensait vraiment passer au-dessus de tout ça, nous le pays insulaire spécialiste de l’hygiène et de la fermeture des frontières : le virus ne passerait pas.

C’est alors que Gatô et moi sommes tombés malades, l’un après l’autre. Nos symptômes ressemblaient fort à ceux du Covid-19. Gatô, qui l’avait attrapé en premier, s’est rendu à l’hôpital. On l’a isolé, testé pour la « grippe commune » (test négatif), pris sa température (39°) lui a demandé s’il avait été en contact rapproché avec des chinois (non), puis on l’a laissé repartir, sans le tester pour le Corona. Du coup, je n’ai pas pris la peine d’y aller moi-même…

Au même moment, il se disait sur les réseaux sociaux que les chiffres (concernant les malades du Covid) étaient faux. Et/ou que Japon ne testait que très peu afin de ne pas alarmer la population (en vrai, il existe aussi tout un tas d’autres raisons justifiées), et surtout l’opinion internationale : quelle catastrophe pour l’économie si les JO passaient à la trappe !

Et puis les JO sont quand même passés à la trappe.

Et là, ce fut l’explosion du nombre de cas positifs au ShingataCoronaWirusu. Et moi, petite fourmi, ne suis pas là pour juger s’il s’agit d’une coïncidence ou non, mais beaucoup ici ont fait le rapprochement.

Le confinement à la Japonaise (avril ~ mai)

Parce qu’au Japon, on illustre tout avec des bonhommes mignons

Alors que les Japonais se demandaient pourquoi Shinzo Abe traînait autant à prendre le taureau par les cornes, l’État d’Urgence fut enfin déclaré le 7 avril. Un État d’urgence particulier, dit « non contraignant » : limité à 7 préfectures, et reposant entièrement sur l’auto-discipline des citoyens (aucune amende en cas de sortie non essentielle). En effet, le Premier Ministre n’a pas le pouvoir d’imposer un confinement total, pas plus que la fermeture des commerces et autres établissements.

Il a donc été « demandé très fortement » aux Japonais de rester chez eux autant que possible, aux écoles d’enseigner en ligne, aux restaurants et bars de bien vouloir fermer le soir, et à tous de privilégier le télétravail quand c’était possible (au final, peu d’entreprises ont réussi ou fait l’effort de le mettre en place).

Finalement, l’État d’urgence s’est étendu à tout le Japon une semaine plus tard. Les grands centres commerciaux ont fermé, tout comme les autres lieux de rassemblement. Quant aux établissements qui ne respectaient pas les directives, leur nom est inscrit sur une liste noire accessible au public (au Japon, la culture de la honte fonctionne très bien). Néanmoins, si beaucoup de commerces ont baissé le rideau de fer, on est loin des rues désertes de Paris ou Montréal.

En fin de compte, en regardant les chiffres (du nombre de morts du Corona), le Japon ne s’en sort pas si mal. En guise d’explication, on dit que la distanciation sociale est plus facile à respecter pour les Japonais : ils ne se font pas la bise, ne s’enlacent pas pour se saluer, et ne parlent quasiment pas dans les transports en commun. Et le port du masque ainsi que l’hygiène/désinfection des lieux publics étant déjà une habitude ici, tout ceci facilite apparemment le ralentissement des courbes du nombre de gens infectés. Sans compter que le Japon est le pays possédant le plus de lits d’hôpital par habitant.

Au jour le jour

Alors, comment vit-on le confinement au jour le jour ?

Pour Gatô et moi, qui sommes habitués à travailler à domicile, pas si mal finalement. Je continue à me promener aux petites heures du jour, quand personne ne foule encore le Chemin des Philosophes. On fait nos courses comme d’habitude. Mais on ne va plus au resto/café/salon de thé. J’ai aussi dû renoncer à un travail de guide touristique que je devais commencer en avril (ahahaha, aha…) et dont mes débuts sont repoussés à… plus tard. Cet automne peut-être ? On verra. En attendant, j’ai commencé à écrire un roman, ce qui m’occupe pas mal.

Et sinon, on apaise autant que possible notre voisine japonaise sexagénaire qui nous envoie régulièrement des fake-news concernant diverses façons de lutter contre le virus (boire un verre d’eau toutes les 15 minutes, boire du thé à une température supérieure à 27 degrés, prendre des bains, consommer de la vitamine C et autres bêtises), mais comme elle ne croit pas à l’OMS, parfois, c’est difficile…

On attend aussi les fameux « Abe-no-masuku », ces 2 masques lavables par foyer envoyés par le Gouvernement (toujours pas reçus) et pour lesquels le Premier Ministre s’est bien fait bâcher. On attend aussi une aide financière d’environ 1000 euros par personne (toujours pas reçu les documents), petit coup de pouce de M. Abe envers ses citoyens. S’il arrive un jour.

Et on patiente jusqu’à la fin du mois de mai. Et avec lui, le début de la saison des pluies…でも仕方がないでしょう? « C’est la vie, on n’y peut rien », comme on dit souvent ici.

Pour en savoir plus :


https://www.lepoint.fr/monde/coronavirus-l-exception-japon-14-03-2020-2367167_24.php

« L’exception Japon : le pays a été l’un des premiers touchés par le Covid-19, mais le nombre de cas est toujours resté faible. Ce qui ne rassure pas forcément la population. » AVEC VIDEO.


2 chronologies & études approfondies concernant la gestion de la crise au Japon :

https://occah.uqam.ca/publications/covid-19%E2%80%AF-mieux-comprendre-la-gestion-de-lepidemie-au-japon/

https://www.institutmontaigne.org/blog/coronavirus-lasie-orientale-face-la-pandemie-japon-autodiscipline-contraintes-institutionnelles-et


https://www.la-croix.com/Economie/Monde/Coronavirus-Japon-continue-daller-travail-malgre-letat-durgence-2020-04-22-1201090649

« Face à l’épidémie de Covid-19, le gouvernement japonais ne cesse de marteler l’importance du télétravail, mais beaucoup d’entreprises ont dû mal à s’y adapter. »


https://www.lesoir.be/295577/article/2020-04-20/coronavirus-un-expert-japonais-tres-pessimiste-sur-la-tenue-des-jeux-olympiques

« Un infectiologue japonais se dit « très pessimiste » sur la possibilité que les Jeux olympiques de Tokyo, déjà reportés d’un an, puissent avoir lieu en juillet 2021 : « Honnêtement, je ne pense pas qu’il soit probable que les Jeux olympiques aient lieu l’an prochain ». »

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2 commentaires pour Le Shingata-Corona-Wirusu au Japon

  1. Michèle dit :

    Merci pour le partage de votre vécu au regard de cette situation. Portez vous bien. J’aurais dû m’envoler pour Tokyo demain. Ce fut un crève-cœur d’annuler. Maintenant, j’espère mai 2021 !

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